L’homme invisible
Article original par Gregory Morrison ; traduit par LAbare / Florïan Lorenzetta
Thèmes : asexualité, invisibilisation, vulgarité (sexe).
Oh, pardon ! Vous ne m’aviez pas vu.
C’est pas grave, personne ne remarque ce qui paraît normal.
Personne ne pense à me demander : « Hé, est-ce que tu es… ». Non. C’est plus simple de faire des suppositions.
Et pendant que vous vous ridiculisez, je reste encore inaperçu. Inconnu.
Invisible parmi mes pairs, car que pourrait-il y avoir de pire que d’être inconnu ?
Être renié.
Et vous voilà donc toustes homogénéisées’ au sein de votre hétéronormativité, et vous me voyez ; mais en fait, vous ne me voyez pas.
Pas vraiment. Vous voyez ce que vous voulez voir. Un jeune homme. Folâtre. Qui se lance dans la romance.
Et avec des femmes, en plus ! Oh, c’est parfait ! Ne nous attardons pas sur le fait qu’il n’a jamais désiré le moindre acte sexuel.
Non, il n’est jamais allé à la pêche ou allé faire trempette dans l’océan de la sexualité.
Mais enfin, comment est-ce possible ? On l’a pourtant élevé dans une société qui bénit les hommes, qui humilie les putes, et fait l’éloge du sexe à n’en plus finir !
Dans laquelle le summum de l’art, c’est la nudité complète, et le summum du plaisir, la pornographie hardcore.
À la puberté, on apprend aux jeunes hommes que si ce sont des glands, ils n’ont qu’à penser avec leur gland.
Et qu’ils ne mouilleront pas le lit que de pisse. Que ce soit à la télé, dans les films, avec leurs meutes de potes,
ou sur les panneaux publicitaires recouverts de culs de femmes, on apprend aux jeunes hommes que leur pénis est plus important que tout.
Si ça, c’est ce que doit être un homme, allez-y, donnez-moi la médaille du plus raté.
Vous allez me dire que c’est par manque de fierté. Que si je me sens invisibilisé, je n’ai qu’à me montrer au grand jour.
Que je ne suis pas seul.
Qu’il y a toute une communauté qui m’attend bras ouverts. FIERTÉ LGBTQA !
Mais n’oublie pas ! Le A signifie Alliées’.
Et comment ça se fait que tu mates des filles alors que t’es un gars ? T’as rien à faire ici. T’en es pas. Tu veux juste te faire remarquer.
Ces gens se plaignent de devoir se battre pour leur droit à faire la fête, et moi je dois me battre pour avoir le droit de faire partie de cette fête dans laquelle toute victoire est célébrée par un baiser qui ne me manquerait pas si j’y manquais.
Non, vraiment, j’insiste.
Redites-moi pourquoi je devrais rejoindre une armée qui nie mon existence.
Au fond, si on ne me voit pas, si on ne m’entend pas, alors mes problèmes disparaissent : je devrais me réjouir d’être si chanceux !
Est-ce vraiment un problème pour vous que l’homme invisible demande à être vu ?
Est-ce vraiment absurde pour vous qu’il puisse exister des personnes qui ne ressentent pas ce besoin si primordial, alors que leurs voix s’élèvent pour vous supplier de les écouter ?
Oh, pardon ! Vous ne m’aviez pas vu. C’est pas grave, personne ne voit ce qui est invisible.